Lettre à Julien, François et Martin
En octobre 1996, peu de temps après mon arrivée à Paris, j’ai pris l’annuaire pour y trouver 3 Julien habitant dans le 13ème arrdt, 3 François dans le 11ème et 3 Martin dans 19ème. Dans une lettre, je leur expliquais mon projet : obtenir, de la part de personnes que je ne connais pas, des thèmes qui seront la base d’un travail photographique. J’avais choisi ces prénoms et ces arrondissements parce qu’ils me plaisaient : les prénoms étaient doux et j’aurais voulu vivre dans ces arrondissements (je ne ferais pas les mêmes choix aujourd’hui). Je ne leur disais pas que je n’écrivais qu’à des hommes (je n’étais pas contre une rencontre amoureuse).
Je reçus trois réponses, une de chaque prénom.
La réponse de Julien
Julien me proposa "L’anonymat de l’homme dans la ville -Paris en est une bonne illustration ". En le faisant, il omit de me donner son nom de famille, de telle sorte que je ne savais pas lequel des 3 Julien m’avait répondu.
J’aurais donc à envoyer ma réponse aux 3 julien.
Ma réponse à Julien
Je mis plus de 5 ans avant de poursuivre ce projet. J’avais assez vite abandonné la pratique de la photographie et la fac qui allait avec, de nouvelles réalisations me motivaient plus. Je voulais prendre mon temps, utiliser la photographie autrement. Seulement, 5 années plus tard, aucun des 3 julien n’était resté à la même adresse.
J’ai donc choisi d’envoyer une carte postale à tous les Julien C., Ch. et D. de France. Cette carte représente les 3 Nicolas Meunier le jour de leur rencontre. Sur le verso, on peut lire un résumé du projet. Pour le réaliser, j’avais envoyé un courrier à trois groupes d’homonymes habitant à Paris (10 Hélène Lambert, 9 Nicolas Meunier et 10 Catherine Rousseau). Et puisque 3 Nicolas Meunier avaient accepté ma proposition, c’est eux qui m’offrirent la réponse à Julien. J’espère que le « bon Julien » était parmi les destinataires des 46 cartes envoyées.
Merci encore aux Nicolas Meunier.
La réponse de Martin
Martin T. me donna son thème le soir où nous nous sommes rencontrés dans la brasserie Le Wepler, place de Clichy. Il était, et est peut-être encore, psychanalyste. Ce qui doit expliquer son choix de thème : « La violence en famille ». Il n’était pas non plus l’amoureux que je cherchais, trop vieux pour moi et un peu trop dragueur.
Ma réponse à Martin
En cherchant à représenter une scène symbolique qui porterait comme titre "La violence en famille", le jeu de « la mourre », que je venais de découvrir, m’a engagée sur la piste de jeux de mains et notamment, celui de « Pierre, feuille, ciseaux ». J’ai ajouté le puit (qui fausse pourtant l’équilibre des combinaisons gagnantes) et j’ai dessiné la scène avec ces 4 personnages. J’en ai fait une peinture. Mais c’est le dessin que j’ai préféré garder. C’est la photographie du croquis aux traits noirs sur fond blanc, au format 50 x 75 cm, que j’ai envoyée à Martin T.. Je préfère aujourd’hui sa version négative.
Martin T. m’a proposé un rendez-vous chez lui après avoir reçu l’image. Notre première rencontre remontait à plus de cinq années. Il avait accroché le « poster » sur le mur de la salle d’attente. Il me dit qu’il était arrivé à point, qu’il ne savait pas quoi mettre à cet endroit. Il trouvait bien d’interpeller ses patients. Je ne sais pas si c’était une bonne idée.
La réponse de François
François S. se débrouilla pour déposer sa réponse dans ma boite aux lettres. Il m’écrivait sur du beau papier, d’une belle écriture envolée et me disait qu’il ne se sentait pas concerné par les exemples que j’avais pu donner, et qu’il trouvait justement bien d’être hors de mes objectifs.
J’adressai une nouvelle lettre à François S. pour lui dire que je n’avais pas d’objectifs et lui demander s’il déclinait ainsi mon invitation. Il me répondit : « Non point. Alors, prenons le point. » Il me fit parvenir, en même temps que sa lettre merveilleusement calligraphiée sur une fiche de l’« Hôtel de Paris » à Monte-Carlo, un polaroïd montrant ces mots éclairés par un rayon de soleil. Mais qui était ce François S. ?!
Je le rencontrai chez lui, en 2002, lorsqu’au bout de 5 années, j’avais eu besoin de savoir si mes 3 « hommes » étaient encore joignables. Je ne sais plus si je sonnai à sa porte sans prévenir ou s’il m’avait invitée à passer. Je sais que je bus chez lui un verre de lait et qu’il me donna un de ses livres. Je venais de rencontrer François Simon, le célèbre critique gastronomique.
Ma réponse à François
Je lui remis ma réponse bien plus tard, en mai 2011, dans un bar de Saint-Germain.
Enveloppée d’une feuille de papier calque, je lui donnai la photo du point, imprimée sur du papier épais et accompagnée d’un livret. Dans ce dernier, à travers plusieurs photos, on comprend que ce point noir visible au centre de ce papier blanc froissé, est en fait l’image négative d’un labyrinthe (celui de Chartres). Petite pastille ronde collée au centre d’un panneau blanc de 3 mètres sur 4, lui-même collé sur un panneau d’affichage, plus grand encore.
J’avais souhaité son « point » final. Il le fut donc.