Entre autres
J’ai eu Emily au téléphone en mars 2004. Elle avait fait passer une annonce dans Libération. Elle cherchait des personnes qui aimeraient correspondre avec elle, qui paieraient même pour ces échanges épistolaires. Une sorte d’abonnement, pendant 6 mois. Il pouvait ne pas y avoir d’échanges, elle seule pouvait écrire. Ça me plaisait, forcément.
Sans jamais nous voir, hors-abonnement, nous avons échangé une quarantaine de lettres avant de décider de faire quelque chose ensemble. Nous nous étions racontées entièrement, nous nous connaissions bien. « Entre autres » a été réalisé sans contact direct, par le seul intermédiaire de Véronique Leyrit, notre graphiste.
Le lieu d’exposition était donc un dépliant. Nous sommes parties de propositions faites par chacune et le résultat a été porté sur le recto et le verso de l’imprimé.
Emily proposa « L’histoire de personne » ou comment raconter une journée « banale » d’une personne « inconnue ».
Je proposai « Rapprochement », un ensemble de trois pièces aux indications très détaillées (photocopier une page précise du journal Libération, photographier la porte d’entrée du même journal et écrire une annonce que l’on rêverait de voir paraître), moins détaillées (mener une expérience auprès de gens âgés pour trouver « 4 vérités ») et très peu détaillées (seul le titre « Pas hier, pas demain » était donné.)
1000 exemplaires ont été imprimés en auto-production, offerts à nos amis et famille, et distribués dans des lieux publics. Il en existe au moins un exemplaire à la BNF et peut-être un autre à la bibliothèque du MOMA de New-York. (Emily est américaine. Nous avons quasiment le même âge. Elle a vécu quelques années à Paris qu’elle a quitté pour aller au Mexique, qu’elle a quitté pour rejoindre Los Angeles, où elle vit et crée toujours.)
Ma poule est née à ce moment-là, elle est l’image qui répond au titre « Pas hier, pas demain ».
Emily, pour répondre à ce titre, a fait imprimer une carte postale qu’elle a collée dans tous les dépliants. Au dos de la carte où l’on voit une image assez floue de deux paires de jambes décollant du sol, Emily a repris un extrait d’une de mes lettres : « Cette nuit, j’ai rêvé de nous. Nous dansions sur une sorte de piste, devant d’autres personnes. La danse consistait à tourner vite. Parfois, c’était moi qui te soulevais du sol, parfois, c’était toi. La sensation était aérienne. Mais le plus magique était lorsque nous nous soulevions toutes les deux du sol et continuions à tourner, accrochées l’une à l’autre. Nous étions alors nous-même étonnées par notre pouvoir… ».
Emily Mast est MA correspondante américaine, j’espère continuer à lui écrire (par mails) toute ma vie, j’espère faire un, ou d’autres projets avec elle, sans jamais la voir, ou alors, par hasard, ou alors, lorsque nous serons très très vieilles.